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J'ai un mot à vous dire
9 octobre 2008

Nonobstant

Christian de Lattre-La femme rouge
sept03_La_femme_rouge_55x38

Je vois tes mots bien posés sur la table,
Alignés comme de petits soldats teigneux.
Tes mots si simples et si puissants.
Tes mots tracés d’ébène,
De ta belle écriture de marchand de chimères.
Tes mots qui me crèvent l’âme d’un soufflet :

Je pars…

Mon cœur  stoppe net et dérape sur l’asphalte de mes entrailles.
Mes yeux se brouillent,
Bien plus que les œufs que je voulais te préparer
Pour notre breakfast anglais.
J’ai de la suite dans les pensées,
En forme de lame, de corde et de petits cachés.

Mais un air discret me réveille,
Un petit air venu de très loin, le retour du refoulé.
Un petit son en litanie, bien plus fort que tes mots si penauds :

Putain mais quel salaud !

Jolie sentence de femme outragée
Jolie sentence à susurrer, à gueuler, à cogner contre les murs et les parquets,
Jolie sentence à répéter, ressasser, psalmodier,
Belle douleur à mâchouiller, vraiment, belle douleur de femme offensée,
Bel étendard de souffrance obscène à exhiber.

Je prends la feuille du crime de lèse bien-aimée , afin de l’immoler.
Cette satanée feuille et ses soldats de mots à crever.
Ce recto posés là, tout empoisonné,
Avec son verso timoré qui, imperceptiblement, attire mon œil embué.
Son verso de papillons à peine esquissés,
Boucles d’ébène entrelacées,
Ta tendre écriture d’amant tellement empressé :

… chercher des croissants et des chocolatines, des pralins et des tartines,
Des brioches et du pain frais
Pour notre petit déjeuner de fiançais.


Alors, quand tu es entré,
Tout de lumière auréolé,
Je me suis mise à pleurer,
Éberluée face à ta bouche de baisers et ton œil velouté :

    Que se passe-t-il, jolie poupée ?
   Oh rien, tu me ramènes l’été
et moi je joue l’automne,
je pluie un peu pour m’exercer aux jours mauvais.


Ce matin-là, le café se vêtit d’éternité.

Nonobstant, le jour où tu m’as quittée pour de vrai,
Tu n’as rien dit,
pas écrit davantage, rien, sur aucune page.
La porte s’est juste refermée, sans un grincement,
éclipsant insensiblement le soleil,
dans une odeur de pain grillé.

Je n’ai  plus raisonné et aucun son ne m’a réanimée.
Il paraît simplement que vous m’avez trouvée,
Délicatement étendue dans mon jardin anglais,
Quelques pralines enveloppées dans un petit bout de papier que j’avais à moitié gobé,
comme toutes ces délicieuses années qui venaient de me rester en travers du gosier.
Un petit papier froissé,
maculé de lips stick rouge-baiser,
adieu dérisoire et résigné,
tandis que je flottais,
divine et chiffonnée,
sur un lit de digitales carminées.


Bis_Montparnasse_femme_lascive
cimetière Montparnasse

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Commentaires
K
"Belle douleur à mâchouiller" : j'adore cette image.
P
Un texte vraiment magnifique, très touchant...
J'ai un mot à vous dire
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