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J'ai un mot à vous dire
23 juin 2007

Le Baiser derrière la porte...

"Tango portrait" Maria Amaral Tango_Portrait_Maria_Amaral La nouvelle qui suit a été présentée à un concours pour le festival "Quai du polar" à Lyon. D'abord, je dois signaler que j'ai été poussée par "mon" dessinateur, Pascal :-) c'est donc un texte écrit un peu à l'arrache, très tard dans la nuit... d'où une petite partie recyclage que vous reconnaitrez ;-) Les contraintes étaient les suivantes : 6000 mots maxi, le texte doit évoquer un "quai", la première et la denière phrase sont imposées. Bon, je n'ai pas gagné, mais je suis attachée à ce texte... Vous marchez dans la rue, la nuit. Il pleut. Vous n’entendez que le bruit de vos pas. Et comme souvent, vous rêvez de suivre une femme au hasard, une femme comme une évidence. Vous n’entendez que le bruit de vos pas automates qui tapent l’asphalte et vous conduisent sur le quai de la gare, la nuit, dans cette ville, sur un quai, humide. Là, sans trop savoir pourquoi, sans doute parce que l’idée s’impose à vos nerfs, vous attendez qu’elle apparaisse, improbable. Le quai luit, la nuit. Il laisse exhaler sa rumeur urbaine. Il fait froid. Le brouillard vous habille de sa cape diaphane. Quelle heure est-il ? Il n’est l’heure de rien : vous êtes dans ce no man’s land temporel où les ombres se confondent avec le vivant. Une sensation paradoxale vous encercle : étranger à vous-même, vous êtes sur le point de renoncer. Voilà, c’est ça, après la dernière bouffée de votre cigarette, vous ferez demi-tour pour retrouver le cours normal de votre existence, insipide. Cet instant ne figurera que quelques minutes d’égarement sur la ligne blanche de votre vie, une sorte de vertige romantique, ridicule. Encore une bouffée, encore quelques pas sur le quai de la ville qui bruine son murmure, la nuit. Mais déjà il est trop tard car elle déchire sans détour l’hymen de la brume. D’abord une esquisse, une silhouette, puis un son : ses talons qui battent le bitume comme le claquement de votre Remington. Détonations régulières qui vous échauffent l’échine. Claquent les pas comme un battement de cœur : une baffe de bonheur, une baffe de douleur. Clac ! Vos sens pris au piège de cette apparition, Venus née de vapeur et de crachin, figure de proue d’un navire chimérique. La femme marche et chaloupe et tangue du haut de ses armes fatales : des bas noirs jusqu’aux yeux. Voilà, c’est ça, la suivre, jusqu’au bout du quai, au moins, et boire son souffle, parfumé. Suivre la femme pour épeler le mystère de sa peau, de sa soie et consommer le vertige de cette équation, inconnue. Ce soir, tous les hasards du monde ont tramé vos destins : votre fréquence capte ses ondes sans desseins. Vous marchez sur le quai, la nuit. Il pleut. Vous n’entendez que le bruit de ses pas. Il pleut. Elle ne part pas. Elle attend, divine et indolente. Son œil profond fouille l’obscurité, elle attend sous la pluie fine, sans ciller, les joues ruisselantes, la nuit. Elle est là, presque irréelle. Soudain, vous pensez qu’elle attend un autre, un homme, un homme qui n’est pas vous, là, au bout de ce quai, sous la pluie, la nuit. Vous pensez « un » et votre corps tressaille d’une jalousie inepte, vulgaire. Déjà vous avez honte de salir les pensées de votre idylle illusoire. Elle marche sur le quai, la nuit. Il pleut. Vous n’entendez plus le bruit de ses pas mais la jalousie qui distille goutte-à-goutte son venin dans la voie de vos veines. Alors que vous étiez sur le point de vous résigner, il faut désormais que vous sachiez. C’est, ça, oui, savoir quel est celui qu’elle peut attendre, tranquille, sous la pluie, au bout de la nuit. Tout votre être n’est plus qu’un cri désespéré tendu vers elle. Vous savez que vous la suivrez, parce que vous avez toujours rêvé de suivre une femme au hasard de votre vésanie, sous la pluie, la nuit. Vous la suivrez car, imaginer blesse davantage que savoir, du moins, vous croyez. Enfin, le voici qui arrive, l’homme, l’autre, l’ennemi. Vous pensez « enfin », pourtant cette délivrance sonne l’origine de votre torture. Vous l’envisagiez parfait, sublime, implacablement esthétique. Mais l’homme est pire. L’homme est robuste, fier, animal, sexuel. Ils se regardent sans un geste, juste un soupir lascif et explicite. Votre chair se consume. La haine vous mord. La nuit les emporte au bout du quai dans cette ville qui suinte sa foutue pluie. La nuit les emporte et vous marchez, abîmé. Il pleut. Vous n’entendez que le bruit de leur pas. Ils se taisent. Ce silence écartèle votre âme, trouble. Elle est cambrée comme un torero, il est fort comme un taureau, mais c’est lui qui ajuste délicatement le manteau sur les épaules distinguées de la belle, véronique sensuelle. Les banderilles du mal vous transpercent le plexus. Vous déchiffrez les gestes. Combien faut-il s’aimer, bordel, pour marcher sous la pluie, la nuit. La bruine vous glace, leurs rires vous figent. Inexorablement, la haine fait son œuvre à l’écho de leurs mains qui se joignent, se frôlent et dansent. Vous sentez la fin proche. Vous redoutez le dénouement. Voilà, Ils abordent maintenant le quai du fleuve qui serpente dans son habit de lumière. Vous marchez dans la rue, la nuit. Il pleut. Vous n’entendez que le bruit de vos pas : un homme, une femme, un homme. Vous savez que l’irrémédiable va débouler, que l’estocade est annoncée, sous la pluie, près du quai, la nuit. Alors vous marchez encore, soumis à la sentence. Ils s’arrêtent, lui et elle, elle et lui, devant un porche, sculpté. Les bouches s’effleurent. Ils passent le battant, la porte se referme : un uppercut dans la gueule. Il pleut. Vous imaginez les corps enlacés, les corps qui s’enflamment et les lèvres velours, mélangées. Lui et elle, elle, votre femme, votre air, votre eau, votre alpha et votre oméga. Vous les imaginez et vous savez que pour ce baiser derrière la porte, vous allez la tuer. Voilà, c’est ça, sans appel, la mort comme solution. Parce qu’elle explique tout ce qui se passe dans ce bas monde ; elle répond à tout et elle répond à rien. Cathie Gibaud, Lyon 2007.
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Commentaires
M
bravo,catj'adore les histoires sombres.
P
très noire et très belle, ça nous est arrivé à tous et dieu sait que ça fait mal.
C
... je ne commande pas toujours ce qui m'apparait :-)<br /> Pour le blog, je vais effectivement essayer de l'améliorer au fur et à mesure. Par exemple, sur la mise en page de mes textes que j'oublie de justifier... bon j'ai aussi le problème des images qui parfois ne passent pas parce que trop lourdes... mais là, il y a ton blog, (enfin notre blog :-)) qui montre nos illustrations, alors ça complète...
P
Moi aussi j'ai beaucoup aimé cette nouvelle, tu excelles dans plusieurs genres même si j'ai une préférence pour tes récits tendres à la façon de Bastien aime Lila. Si j'avais eu plus de temps j'en aurai fait une série d'illustrations.<br /> Au fait Cathie, tu as bien fait de compléter la présentation de ton blog en augmentantl possibilité d'accès sur la barre de droite, c'est vraiment plus pratique pour l'utilisateur qui vient tous les jours.
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