2046
2046, film de Wong Kar-Wai (2003) représente, à mes yeux, une oeuvre exceptionnelle : onirique, poétique, érotique.
La chambre d'hôtel 2046 : Chow Mo Wan, écrivain en mal d'inspiration, tente de finir un livre de science-fiction.
Dans son roman, un train énigmatique part pour 2046 où les choses sont immuables. Cependant personne ne peut le certifier, car nul ne revient de ce lieu... sauf lui.
À travers ce fil de l'écriture, le personnage se souvient des femmes aimées, désirées, laissées... Car, malheureusement, Chow, à l'aube de sa vie amoureuse, s’est vu rejeté par la femme qu’il aimait. Depuis, ce souvenir traumatique l'empêche de goûter à l'amour de toute autre : passent les femmes, comme passent les trains...
On s'éprend, on se prend, on se méprend, on se désapprend : restent les traces de ces liaisons et ruptures qui nourrissent notre être et notre imaginaire. À cet égard, le passé peut représenter un corpus qui nous figure ou un poids qui entrave nos pas vers la découverte d’autres relations en devenir.
Derrière ses clairs-obscurs magnifiques, sa divine élégance, cette peinture subtile des sentiments et des émotions, Wong Kar-Wai pose la question existentielle éternelle de l’Amour.
La réponse, reste évidemment en suspens, car elle se situe à la frontière de notre intimité, où tout se dévoile et se voile dans ce no man’s land déroutant quand notre inconscient tente de dialoguer avec notre âme.
Et Je ne saurais expliquer par quelle magie, le réalisateur parvient à ce point à capter les sensibilités et les émotions, comment il parvient à rendre les non-dits explicites, mais les personnages sont d’une beauté si pure, si palpable qu’on en ressort bouleversés, comme si Wong Kar-Wai, l’air de rien avait su toucher les plus secrètes de nos failles.
Je disais, donc, « onirique » pour l’ambiance feutrée ou métallique (selon le lieu) qui, associée à une répétition des images, nous embarque sur une île entre songe et réalité.
Je disais encore « poétique » car chaque scène, à la façon d’un Haïku, à travers la simplicité des mots et des situations, évoque des images lyriques que la lenteur du film permet de nous approprier à notre rythme.
Je disais enfin « érotique », car rien, à mon goût, n’est plus excitant que la sensualité pudique, d’autant
qu’ une certaine froideur un peu esthétisante, loin de repousser, permet au contraire de se projeter et de s’identifier aux personnages...
Au final, chacun comprend que « pour aimer il faut qu’il ne soit ni trop tôt, ni trop tard ».
Je rajouterais : sans doute faut-il également savoir, non pas se départir de ses souvenirs, mais construire un espace où ranger nos expériences comme des objets rares et précieux, afin de trouver un équilibre : boire à la source qui nous incarne et apprivoiser ce qui nous trouble...